Goodnight in Bangkok

TENUE

Tu l'avais rencontré au bar, un client régulier mais que tu n'avais pas encore tenté d'approcher, par manque de temps surtout, il faut dire que tu étais toujours bien occupé, tellement qu'il te faudrait une liste d'attente pour bien gérer la demande, quelque chose que tu prendrais note pour en parler au patron.

Alors, pendant ton petit moment entre deux clients il t'avait accosté, donné un petit morceau de papier pour le rejoindre dans un hotel. Rare étaient ces moments ou tu acceptais d'y aller, tu préférais rester professionel, mais tu avais besoin de ce petit surplus d'argent, surtout après les fêtes et avec l'arrivée du nouvel an chinois, il faut bien que tu te prépares pour ton petit bonhomme.

Ce rendez-vous à l'hotel se déroulait plutot bien, tu le satisfesais et il te payais et vous sortiez à intervalles. Il t'avait mentionné qu'un chauffeur t'attendrait et honnêtement tu ne stressais pas avec cela, tu sais très bien te débrouiller. Bref tu sortais, prenais la peine de replacer ta chemise légère en sortant de la place. Tu ne savais pas trop à quoi t'attendre comme chauffeur mais tu voyais quelqu'un te faire signe, tu t'approchais d'un sourire, alors qu'il se garait devant toi. Tu t'installais sur la banquette arrière alors qu'il te demandait une adresse.

Tu ne pouvais bien le distinguer alors qu'il te faisait dos, mais le reflet de ses yeux dans le rétroviseur et les tatouages sur ses mains, tu te disais qu'il avait bien du style.  On peu se tutoyer? tu le regardais autravers du retro, croisait son regard, il semblait relativement de ton âge. Et puis... Le Chinatown sera parfait comme destination.

Tu y habites près mais ne donnerais pas ton adresse, tu n'es jamais trop prudent, non pas pour ta sécurité mais tout d'un coup que la mère de ton enfant t'y attende. Tu n'avais pas envie de créer une querelle ce soir.

Sa question me fait légèrement sourire et je dois dire que la première impression que j’ai de lui est plutôt bonne. Je pensais que j’aurais à faire à une diva qui m’adresserait à peine la parole mais on dirait que je me suis fait des films pour rien. Ce gars a l’air plutôt sympa. Comme quoi, il ne faut jamais se fier aux apparences et je devrais pourtant être bien placé pour le savoir.
« Bien sûr qu’on peut se tutoyer. »
Quant à sa destination, je l’ai bien noté, tout comme le fait qu’il ne me donne pas d’adresse précise. Une précaution ? A moins qu’il n’attende qu’on ne soit tout près pour me donner d’autres indications ? Dans tous les cas je suis à sa disposition pour le reste de la soirée et ce n’est pas moi qui vais me plaindre de pouvoir me faire de l’argent facile. Après tout, la mission est claire, simple et facile. Quelle est la probabilité pour que quelque chose dérape ? Zéro.

C’est confiant que je roule en direction de Chinatown tout en lui disant :
« Il y a un peu de circulation à cette heure-ci. »
Oui je m’amuse à jouer les chauffeurs, pourtant conduire à Bangkok est infernal mais je commence à m’y faire depuis le temps que j’habite ici. C’est différent de Séoul et ce n’est finalement pas particulièrement pire.
« T’es coréen toi aussi, non ? Expatrié ou juste d’origine ? »
Je sais qu’il existe une communauté installée de longue date ici et qu’il y a également de nombreux expatrié comme moi. De toute façon ce genre de question n’engage à rien, non ? On passe juste le temps mais s’il ne veut pas discuter, je me concentrerais juste sur la route. D’ailleurs parmi la foule de voiture qui circule autour de nous, j’en repère une qui roule dans la même direction que nous et je l’ai remarqué elle plus qu’une autre parce qu’elle était également garée dans le parking de l’hôtel…

TENUE

La voiture en mouvement, tu tentais de retirer ton veston sans nécessairement te détacher, t'avais l'impression d'étouffer et tu détestais ce sentiment, sans veston tu seras plus confortable. Tu souriais, concentré sur ta tâche alors qu'il acceptait le tutoiement. Enfin tu avais réussis à retirer ce foutu veston et tu levais les yeux lorsqu'il mentionnait le trafic, tu souriais, synonyme d'un rire alors que le trafic ne t'étonnait pas, même que tu aurais préféré rentrer en transport en communs, tu aurais presque économisé du temps.

Ça te fait pas chier de conduire dans un trafic interminable?

Tu disais ça parce que tu avais aucune patience et jamais tu ne pratiquerais ce métier ici, mieux valait se déplacer en moto même si tu courrais la chance de mourir frappé par un autre, même si passer entre les voitures est quelque chose de commun en France, c'est relativement moins risqué qu'à Bangkok... Puis il remarquait tes origines. Tu passais ta main dans tes cheveux, les renvoyais vers l'arrière, alors comme ça il était coréen aussi?

Parents coréens oui, mais je n'ai jamais mis le pied dans le pays. Je suis né ici... Vécu en France, expatrié... Expulsé serait un meilleur mot.

Tu es bref, s'il était plus curieux peut-être que tu élaborerais, mais les ex-détenus ne parlent pas de leurs histoires comme les soldats, héros de guerre. C'est toujours délicat, il n'y a pas vraiment de fierté là-dedans.

Toi? Expat ou pas?

Si conduire dans un trafic pareil me fait chier ? En voilà une question intéressante à laquelle je ne manque pas de répondre avec mon habituel trait d’humour philosophique :
« Tu sais, je ne fais pas ça souvent. Je suis plus un homme à tout faire qu’un chauffeur. Alors quand ça m’arrive de revêtir ce rôle, je le fais avec plaisir. »
C’est comme jouer un personnage. Tant qu’on ne me demande pas tuer de quelqu’un ça me va.
« Et puis les voitures et moi c’est une longue histoire. A la base j’ai une formation de mécano. »
Oui je suis littéralement en train de lui raconter ma vie. D’ailleurs on se demande comment j’ai pu passer de garagiste à tueur pour la mafia. Quand j’y pense, même moi je trouve ça fou. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour gagner suffisamment d’argent pour plaire à une femme. Au final, j’y ai perdu un œil, mon âme et mon cœur mais ça, c’est autre histoire et ce n’est pas le genre qui se raconte en conduisant un client qui est certainement bien plus respectable que moi. Je ne sais rien de lui mais quel est la probabilité pour que deux tueurs se retrouvent dans la même voiture ? Aucune.

La discussion faisant, nous en venons à parler de nos origines. De toute façon, on ne peut faire que ça pour tuer le temps. D’ailleurs rien qu’avec sa réponse, je devine qu’il a eu lui aussi une vie compliquée. Je suis certain qu’elle serait intéressante à écouter autour d’un bon whisky. Dommage qu’on ne soit pas dans un bar.
« Je suis en cavale. »
Après lui avoir répondu le plus sérieusement du monde, je lui lance un regard à travers le rétroviseur avant d’éclater de rire et de lui répondre :
« Je te fais marcher pardon. Je suis expatrié. La Corée et moi, c’est fini et je consomme mon divorce en Thaïlande, si je peux dire ça comme ça. »
En réalité je suis vraiment en cavale mais ce n’est pas la police ni Interpol qui me recherchent… enfin, si mais eux, ils ne recherchent pas Seo Liam. Plutôt un inconnu qui se faisait appeler Iceman. Du coup ceux que je fuis, c’est plutôt la mafia coréenne mais là encore c’est une longue histoire et fatalement, ça implique une femme. La même que tout à l’heure. A croire qu’elles sont à elles seules les maux de cette terre.

En parlant de femme, j’ai l’impression que la voiture qui nous suit depuis tout à l’heure est conduite par l’une d’elle et elle ne nous lâche pas. D’expérience, je sais que ce n’est pas bon signe.
« Tu permets que je prenne un raccourci ? Par contre accroche-toi s’il te plait. »
Sans attendre sa réponse, je tourne brusquement à une intersection, sans clignotant et vraiment au dernier moment. L’autre voiture fait pareil. Mon visage s’assombrit. Je n’ai plus aucun doute. On est vraiment suivi.
« Navré de te l’annoncer mais je crois qu’on est suivi et c’est une femme qui est à nos trousses. Soit une ex à toi, soit la femme du mec qui me paie pour être ton chauffeur. »
Pour une fois qu’on n’en a pas après moi ! Je pourrais presque m’en réjouir.

TENUE

Tu hochais de la tête, acquiesçais lorsqu'il mentionnait être un homme à tout faire. Tu ne pose pas plus de questions, mais tu es tout de même curieux, tu aimerais bien savoir ce qui le poussait à faire ce métier, mais disons que... Tu n'es pas bien placé pour demander, tu viens tout de même vendre ton corps à son patron et contente-toi chanceux que cet homme ne te juge pas. Tu te doutes bien que cet emploi est bien plus payant que d'être mécano, après-tout le patron t'avait donné un bon morceau d'argent, assez pour pouvoir payer ton loyer pour deux mois. Alors, hein, pourquoi pas?

Il te demande si tu es d'ici et tu lui répond, brièvement, ne veut pas trop t'aventurer sur ton passé parce que tu n'avais rien à vraiment raconter. Aucune fierté, aucune histoire de guerre prodigieuse, simplement des guerres de rues et pourrir derrière les barreaux pour finalement être expulsé jusqu'ici. Survivre, c'est bien ce que tu fais.

Tu levais les yeux vers le rétro lorsqu'il te disait qu'il était en cavale. Un sourire curieux s'affiche sur ton visage alors que tu fronçais légèrement les sourcils, impossible que vous aillez un passé sensiblement pareil pas vrai? T'es un ex tauleur, t'as un dossier judiciaire bien garni et lui il n'est qu'un mécano, non? Bien sûr qu'il te faisait marcher. Tu regardais par la fenêtre.

Pas d'enfants au moins? Un divorce c'est quelque chose, mais avoir des enfants ça te force à la côtoyer toute ta vie... tu t'es pas marié mais tu sais de quoi tu parles niveaux enfants...

Tu ne fais pas gaffe au paysage, pour être honnête tu le vois si souvent qu'il t'es complètement banale. Tu étais presque dans les nuages, non pas que la conversation n'était pas plaisante, mais avoir deux emplois plus cette petite escapade, ça t'épuises. Alors que tu commençais à simplement reposer tes yeux, sa voix te réveillait entièrement. On est suivis? Tu te redressais et regardais par la fenêtre de derrière, c'était bien une femme, mais tu ne pouvais déterminer si c'était ton ex ou la femme de ton client.

Shit! Tu agrippais la poignée qui était au toit, lui qui était prêt de partir en cavale, t'espérais qu'il était aussi bon en conduite qu'en réparation.

Avant qu’on ne se lance dans une folle course poursuite, j’ai quand même eu le temps de répondre à sa question, notant au passage l’intonation de sa voix lorsqu’il a mentionné le fait d’avoir des enfants. Il en a peut-être issu d’une relation qui s’est mal finie ? C’est en tout cas l’impression qu’il me donne. De mon côté ce n’est malheureusement pas le cas.
« Non, je n’ai pas d’enfant. Parfois je le regrette et quand je vois le genre de vie que je mène, je me dis que ce n’est pas plus mal. »
Pourtant, j’aurais tellement voulu et aimé lui faire des enfants. Cette femme, je l’aimais tellement… Cela étant dit, ce n’est pas le moment de repenser à tout ça car celle qui nous suit n’a pas l’air d’être du tout commode. Heureusement pour mon passager, je suis un as du volant. Après tout, les courses poursuite, c’était quand même un truc qui arrivait souvent à l’époque où je bossais pour la mafia en Corée.
« Rien de cassé derrière ? »
Je lui adresse un rapide coup d’œil à travers le rétroviseur alors que nous continuons de rouler à vive allure, toujours poursuivit par l’autre voiture.
« On a deux options, je peux essayer de la semer ou on peut s’arrêter quelque part et je la dissuade de te poursuivre. »
Parce que c’est lui qui est visé, non ? Je n’ai eu aucune histoire avec une femme en Thaïlande qui la pousserait à me suivre de cette manière. Lui en revanche, il doit collectionner ce genre d’embrouille. A moins que je ne me trompe ?
« Au fait ! C’est quoi ton nom ? »
Comme si c’était le moment pour faire connaissance ! D’un autre côté, on aura besoin de connaitre nos prénoms pour communiquer plus facilement.
« Moi c’est Liam. Et toi ? »