CLIC METout récemment, j’ai signé un contrat avec les Saelu. Pourtant depuis peu dans leur rang, un homme fort élégant aux allures efféminées m’avait approché pour me proposer de travailler pour lui. Néanmoins, méfiant par ce genre d'offres alléchantes aux premiers abords, mais tordues après la signature, j’ai demandé à une intégration progressive dans ce milieu. Ce milieu concerne les Hots Club. Je n’aurais plus à coucher - du moins à chaque fois - avec les clients. Mon travail consisterait à leur tenir compagnie, à les faire boire et que la soirée se déroule de manière conviviale pour les entraîner à une prochaine visite.

Depuis longtemps, je connais ce métier, mais je suis trop habitué à ce qu’on me douille. Aujourd’hui, je fais plus attention quand on me propose ou demande un service. Une fois, pas deux.

Ce soir est mon premier essai au club. Je ne stresse pas, je suis totalement confiant. Non pas parce que j’ai la grosse tête, parce que dans tous les cas, j’ai déjà deux autres boulots qui m’attendent pour rembourser ma dette. Du coup, je m’en fous un peu comme quand on va à un examen dont on s’en fout complètement de la note.

Vêtu convenablement comme je l’aurais fait pour un client V.I.P, je m’enfonce dans le lieu animé par d’autres host, de la musique, des barmans, des serveurs et plusieurs clients. En arrivant, je me présente au bar et je me fais amener vers le patron.

Après plusieurs minutes avec le patron, l’enjeu commence. Je dois faire mes preuves et pour ça, on me fournit un premier client. Naturellement, je le suis jusqu’à notre zone de confort, c’est-à-dire un petit salon avec deux canapés l’un devant l’autre et une table au centre. Sans tarder, il commande une bouteille et il se présente. Il passe son bras derrière ma tête, le long de la banquette en me demandant à mon tour de me décrire. De brèves banalités, je lui sors mon prénom simplement, où je suis né, que je suis fils unique et que je vis dans le coin. Il remarque rapidement que je suis plutôt introverti, mais il semble aimer ma distance et le mystère que je dégage. Il me sert un verre quand la boisson arrive et sans aucune gêne, il pose sa main sur l’une de mes cuisses pour porter un toast. Sans broncher, habitué à bien pire, nos verres s'entrechoquent et nos lèvres plongent dans le liquide pétillant et alcoolisé.

Une dizaine de minutes s’écoulent quand mon client remarque dans la pièce un familier. S’exclamant trop fort à mon goût, je grimace lorsqu’il s’écrit à cette découverte. Il prend la bouteille et son verre en me demandant de le suivre à la table voisine. Le regard baissé, peu intéressé par ce qu’il se passe, je prends mon verre et le suis docilement. Ils s’étreignent chaleureusement et bavassent sur le passé. Assis, je remarque tardivement la personne qui l’accompagne. Surpris, je remarque que je connais cette personne. C’est un père de famille, que je connais parce qu’un jour, j’ai passé mon temps libre à jouer à la balle avec son fils dans un parc. Puis, d’autres fois, il est venu à l’ancien garage où je travaillais pour remettre sur pied sa bagnole. Comme quoi, la vie peut-être toujours surprenante, d’une bonne ou mauvaise manière.

Les mains jointes, je les salue tous les deux.
Gardant la bouche fermée, je me contente de liquider lentement la flûte, l’oreille perchée à leur conversation au cas où. De temps en temps, je sers des coupes au client qui ne cesse de bavarder avec son vieil ami.

À l’écart, j’étends mes jambes sous la table un peu trop loin. Mes pieds tapent dans ceux de mon voisin, l’homme beau et charmant. À nouveau, mon regard croise le sien et je m’excuse d’un hochement de tête. Je redresse à peine mes jambes lourdes et fatiguées de ma journée.

CLIC MELe verre qui pétille, les voix fortes qui s’exclament, la musique instrumentale qui ambiance le fond, la lumière qui tamise, ce cadre dans lequel je me trouve ne me provoque aucun sentiment percutant. Le pactole de la soirée étant déjà bien ancré dans mon crane dès la signature du contrat, rien ne me surprend. D'autant plus, qu’avec mon autre job de nuit, je suis habitué à donner davantage de ma personne ou plutôt, de mon corps que de mon cervelet. Alors, me contenter de causer brièvement avec un client, de le servir ou de me servir, d’avoir quelques caresses volatiles par-ci par-là, c’est un jeu d’enfant pour moi.

Dans cet antre jusqu’alors inconnue, je rencontre un homme déjà connu. Vêtu d’une chemise tropicale nous laissant séduire par un détachement de plusieurs boutons en haut, un pantalon de couleur clair moulant et un air charmant, nos pieds s’entrechoquent sans maux. Entreprenant, il se prononce le premier. Le dévisageant quand il s’avance, ma main capture mon verre pour traîner les premiers mots. Premier client en tant que Host, oui. Autrement, servir quelqu’un par ma présence et mon corps, non. Reposant doucement le verre contre la table, mes yeux s’attardent quelques secondes sur les bulles du liquide légèrement doré, avant de se poser dans ceux du questionné. “On peut dire oui.” Les pupilles furtives - surtout curieuses - prennent un virage pour se tourner vers son demandeur. En le décryptant, mon client enroule son bras autour de mes épaules pour appuyer mon petit corps contre son imposante silhouette. Il me présente à son ami fier d’avoir attrapé un jeune poisson encore jamais découvert. Ne donnant aucune peine à ses paroles, je hoche le visage pour saluer l’autre roi. Ensemble, ils fêtent leur achat ; notre corps usagé ; et trinquent tout en nous entraînant à entrechoquer nos verres avec le leur.

Après quelques échanges banals, je préviens que je vais me retirer quelques instants pour fumer. Il accepte sans broncher, et sans tarder, je m’enlève du troupeau pour rejoindre les arrières du club où se trouvent les poubelles. Endroit qui me correspond, je rejoins mes familiers la clope brûlée au bec. Une pause peu méritée, car qui y’a -t'il à être méritant dans ce que je fais ? Lisant les étoiles, je profite de la fraîcheur de l’extérieur pour me remettre d’aplomb, car les aiguilles de l’horloge doivent encore tourner avant que ma journée ne puisse se terminer.

CLIC MECramant au fur et à mesure cette cigarette aucunement différente des autres, si ce n’est qu’elle est la seule à se tenir au bord de mes lèvres en ce moment, je regarde le lampadaire qui émet un petit bruit strident. La lumière instable me captive, la voix coupée. C’est le claquement de la porte qui me fait revenir sur Terre. Le visage tourné vers le sujet de ce vacarme, la beauté du père de famille vient émerveiller ma vision nocturne. Persistant à ne pas parler, je lui tends mon paquet chiffonné pour qu’il puisse se servir. Aussitôt fait, je le range au fond de mon pantalon et je m’approche de lui, le briquet allumé. “J’suis très peu surpris par la vie.” Rapprochant précautionneusement la flamme de sa cigarette, je l’aide à l’allumer. En enlevant l’objet de sa vue, je retire la clope qui pendouillait jusqu’ici afin de pouvoir lui filer un coup de main. La vision dégagée, je peux ouvrir les yeux sans qu’ils ne soient bousillés par la fumée blanche. “Tu travailles ici depuis longtemps ?” Je suis déjà venu une fois ici, mais je ne m'en rappelle pas vraiment. J’avais eu un rendez-vous avec un client, à l’époque de mon ancien patron. Je me faisais discret, parce que c’est pas réglo d’être prostitué et de traîner dans un bar d’host. En quelque sorte, même si nos services sont différents, la base reste de la concurrence. Je leur prends un client qui pourrait être le leur.

Presque d’un air indifférent, je me rapproche de lui après avoir remarqué un détail qui me gêne un peu. Reposant à nouveau le cylindre blanc contre ma bouche habile, je me rapproche de lui lentement, avec un œil fermé toujours en raison de la fumée. Avec mes deux mains, je lui ajuste son col de chemise. La grimace qui tire le visage, j’ai les effluves de tabac qui me rentrent dans le nez. Une fois la rectification terminée, je m’appuie encore contre le mur. Puis, dégageant enfin mes lèvres de la clope, je tapote dessus pour enlever la cendre. “T’as bientôt terminé de travailler ou tu viens de commencer ?” Normalement, je ne suis censé faire qu’un seul client ce soir. Il est déjà tard et j’ai déjà bossé avant. J’suis mort, claqué, mais je persévère. Rien foutre ne va pas me donner de quoi manger.