Il fut un temps où j’adorais les soirées étudiantes. Faire la fête et profiter de la vie me semblait presqu’une évidence. Je me souviens de toutes ces soirées où j’ai trainé mon jumeau pour l’aider à se sociabiliser. Quand j’y pense, c’était presque dans une autre vie. Maintenant que je suis seul, surtout dans un pays étranger, je me rends compte que ce genre de fête, ce n’est plus vraiment ma tasse de thé. Pourtant, l’idée d’une pool party dans un hôtel de luxe, c’était alléchant.

Il n’y a que des étudiants ou en tout cas des jeunes de notre âge. Je crois que c’est le fils du proprio qui organise la fête mais je ne sais pas qui c’est. J’ai été invité par une connaissance d’une connaissance d’une connaissance... Bref, vous voyez le genre ? J’imagine que le but du jeu était de ramener un maximum de personne et c’est plutôt réussi. Tout le monde a l’air de bien s’amuser mais moi, je préfère rester loin de la piscine. C’est pas trop mon truc. On va dire que je suis venu ici pour boire et manger à l’œil. Bon ok, j’avoue, comme je ne sais pas non plus nager, la piscine c’est mort. Encore si je connaissais des gens fiables mais là, je n’ai pas vraiment envie de me taper l’affiche devant tout le monde. Non je suis bien mieux à siroter mon verre dans mon coin. D’ailleurs je ne suis pas le seul à me tenir à l’écart des réjouissances. Il y a ce gars aussi mais lui, on dirait qu’il n’a pas l’air dans son assiette. Je le regarde depuis tout à l’heure et j’espère qu’on ne lui a rien mis dans son verre ou que l’alcool ne l’a pas rendu malade. En fait, ça ne me ressemble pas de me soucier des autres mais ce gars, il me rappelle mon frère. Je ne saurais pas dire pourquoi et c’est pas uniquement parce qu’il a les cheveux blond. Non vraiment, il se dégage de lui la même pureté que Tae Jin. Je n’avais encore jamais senti ça chez quelqu’un d’autre alors forcément au bout d’un moment je craque et je me décide à aller lui parler, l’air de rien.

Après m’être approché de lui, je porte mon verre à mes lèvres pour boire une gorgée de ma bière avant de lui demander :
« Ça va ? T’as pas l’air bien. »

En général quand on a la tête qui tourne en soirée, ce n’est pas bon signe. Surtout si on allait bien avant que la fête ne commence. A tous les coups, il a dû boire un cocktail qui passe mal ou quelqu’un lui a mis quelque chose dans le verre. C’est le coup classique et franchement, les mecs qui font ça, sont de vrais salopards. Jetant un rapide coup d’œil autour de moi, je cherche qui aurait pu être le responsable de son état. Le mec doit certainement guetter le bon moment pour se jeter sur lui mais manque de bol pour lui, je me suis glissé dans l’équation. C’est d’ailleurs un plaisir de gâcher les plans de ce genre de sale type.

Quand il reprend la parole, je fixe un instant le canapé avant d’acquiescer. De toute façon je n’ai rien de mieux à faire et puis je ne vais quand même pas laisser ce mec en proie à n’importe quel prédateur.
« Ok, de toute façon je cherchais un coin tranquille pour finir ma bière. »
Je ne sais pas très bien de qui il voulait parler quand il disait ‘’les autres’’ mais j’imagine qu’il veut parler de ses amis ou en tout cas des gens avec qui il est venu ce soir. Visiblement ils ont autre chose à faire que s’occuper de lui. Je commence par retirer ma veste que je lui tends avant de m’assoir à côté de lui.
« J’ai trop chaud pour la garder, tu peux la mettre si tu veux. »
J’ai bien vu qu’il frissonnait de froid et de toute façon de mon côté, je meurs de chaud dès que je suis couvert. C’est mon métabolisme qui veut ça. D’ailleurs la piscine me tente beaucoup malheureusement elle a l’air profonde alors je vais m’abstenir pour le moment. En plus je ne vais quand même pas le laisser en plan maintenant que je sais qu’il n’est pas dans son assiette.
« Au fait, je m’appelle Choi Tae Min. »
Et à mon accent, il peut facilement deviner que je ne suis pas d’ici, même si depuis le temps mon thaïlandais est plutôt bon et vaut mieux si je veux pouvoir décrocher mon diplôme.
« Et toi ? C’est quoi ton nom ? »

Il prend l’une de mes mains dans les siennes et me remercie chaleureusement. L’espace d’un instant, je ne peux m’empêcher de penser à mon frère disparu. Dans un sens il lui ressemble. Pas physiquement mais plutôt dans sa façon d’être et j’avoue que ça me perturbe un peu, même si je fais comme si de rien n’était. Cela dit, ça explique pourquoi je m’attarde autant auprès de lui alors qu’habituellement je ne m’occupe pas des affaires des autres. D’ailleurs je ne dis rien lorsqu’il pose sa tête contre mon épaule. S’il n’est vraiment pas bien, je peux bien la lui prêter un instant. De toute façon je ne compte aller nulle part pour le moment. J’ai encore ma bière à moitié pleine et je prends mon temps pour la siroter.

D’ailleurs il ne tarde pas à me donner son nom, ce qui me fait arquer un sourcil de surprise. Chinda comme… le nom de l’hôtel ? Surpris, je tourne légèrement la tête dans sa direction pour le dévisager et m’assurer qu’il ne se fiche pas de moi.
« Enchanté Nakharin. Je peux t’appeler Rin ? »
Je ne fais aucun commentaire sur son nom. J’imagine qu’il doit avoir l’habitude que les gens s’arrêtent sur ce détail. De mon côté ça ne change pas grand-chose pour moi. Quand je lui ai filé un coup de main, j’ignorais qui il était et son fric, je m’en fiche un peu. Ce n’est pas parce que moi j’en manque cruellement que je me rabaisserais à me jeter sur un mec qui n’en manque pas. Disons que j’ai une manière bien à moi de trouver ce dont j’ai besoin et ça n’inclus pas de jouer avec les sentiments des autres. Je préfère continuer à vendre mon corps. Je trouve ça plus honnête et franc. Mes clients et moi savons ce qu’il en est. Il n’y a pas tromperie ni mensonge sur notre relation. C’est un échange de bon compromis.
« Oui je suis coréen. Je suis ici pour mes études et j’ai passé du temps à étudier la langue pour ce séjour. »
Ça n’a pas été simple mais cet exile loin de la Corée me fait du bien. Et puis Nakharin ajoute quelque chose qui m’intrigue.
« On dirait que tu n’es tombé que sur des connards. Si ça peut te consoler, on est deux. »
Un sourire énigmatique se dessine sur mes lèvres alors que j’y porte ma bière pour en boire une longue gorgée.
« Et si tu veux un conseil, laisse-moi te dire que plus ils sont charmants, plus il vaut mieux les fuir. »
Et j’en sais quelque chose.
« Tu t’es fait larguer ce soir ? »
C’est peut-être pour ça qu’il a l’air si triste et si mal.

Minnie ? Sérieusement ? Je grimace sans rien dire. Ce n’est pas le moment de chipoter pour un surnom idiot. Si ça se trouve demain, il l’aura oublié, lui mais également moi. De toute façon, nous ne faisons clairement pas parti du même monde et c’est le hasard qui nous a fait nous rencontrer ce soir. Le hasard et la saloperie qu’il a pris. Je me demande ce que c’était. Enfin on dirait que ça va mieux car il arrive à rire.
« Je suis arrivé ici en octobre 2021. »
Ce qui me semble être une éternité au regard de tout ce que j’ai vécu en Corée et qui m’a poussé à m’exiler ici, comme si j’avais besoin d’un nouveau départ. Dans un sens, on peut dire que c’est réussi.
« J’ai vraiment beaucoup étudié pour bien m’intégrer. C’était la condition pour pouvoir venir étudier ici. Ne pas me faire dépasser par la langue. »
Et l’écrit peut être tellement complexe ! Quant à mon cœur brisé, j’apprécie sa compassion mais je ne peux pas m’empêcher de lui répondre :
« Personne d’autre que moi-même ne prendra soin de moi. Jamais. Si on compte sur les autres, on finit par être déçu. Le prince charmant, ça n’existe pas. Quand tu l’auras compris, je suis certain que plus personne ne te piétinera le cœur. »
Mes paroles sont peut-être un peu dures, mais je les pense vraiment. De toute façon je ne suis pas très doué pour réconforter les autres même si en voyant sa peine, je ne résiste pas à l’envie de passer un bras autour de ses épaules pour lui apporter un peu plus de réconfort. Un soupir traverse mes lèvres alors que je m’installe un peu plus confortablement sur le canapé et dans mon mouvement je fais glisser Nakharin contre mon torse pour mieux l’étreindre, en toute amitié bien sûr. Après tout, je ne suis pas ce genre de garçon.
« On dirait que faire la fête ne t’a pas réussi. Tu veux qu’on aille faire un tour ? Que je te raccompagne chez toi ? Peut-être que prendre l’air ou dormir te ferait du bien. »

Nakharin me fait un peu de peine. Il a tout du gentil garçon mais il n’a pas vraiment de chance. J’aimerais le secouer et lui dire qu’il y a plus important que l’amour dans la vie mais pour quelqu’un qui ne manque pas de moyen comme lui, l’amour est une chose importante. De mon côté, c’est un luxe que je ne peux pas me permettre. Et puis avoir le cœur brisé une fois m’a largement suffi. Désormais, je préfère rester focus sur mes objectifs sans me soucier que mon cœur puisse battre plus intensément pour un homme plutôt qu’un autre.
« Allé, partons d’ici. Il n’y a rien pour nous dans cette soirée. »
Je l’incite à se redresser en me dégageant de son étreinte avant de me lever le premier. Je lui tends la main pour l’aider à en faire de même et lui dit :
« J’ai envie de mal bouffe. Tu me paies un Mac Do ou un Burger King ? Tu te paierais le prochain quand j’aurais mon salaire. »
Après tout, il ne va pas me faire croire qu’il a oublié son portefeuille ? Sinon tant pis, on fera autrement mais quand on est déprimé, rien de tel que du gras et du sucre. Avec nos physiques respectifs, on peut se le permettre, alors autant en profiter.
« Tu dois prévenir quelqu’un avant de partir ? »
Au cas où…