Encore une nuit comme une autre. Un peu de marchandise à écouler, la fin de son stock. Elle sait qu'elle devra rendre visite à Maliwan. À chaque fois qu'elle y va, elle se rend compte qu'elle ne le connaît pas tant que ça parce que le garçon résiste à toute tentative de question, ou d'intérêt. Pourtant, il n'a pas l'air méchant. Il joue les durs, il la menace, il a même failli la frapper une fois où elle l'a provoquée. Mais dans le fond, elle a l'impression qu'il n'est pas si méchant. Et surtout, ce qui l'a fait sortir de ses gonds, c'est avant tout ce qu'elle a pu lui reprocher concernant son frère, signe qu'il tenait beaucoup à lui, n'est-ce pas ? À quel point ? Difficile à dire.

Les clients ne sont pas tous creepy ou sordides. Certains sont justes des âmes en peine qui se sont égarées. Sejin essaie de nouer un contact pour mieux les comprendre et peut-être les aider à arrêter ? Mais elle commence à saisir que cela ne sera pas si facile que ça, que l'addiction est trop dure à maîtriser pour elle toute seule. Même certaines cures ne suffisent pas, car ce qui les provoque est ancré bien trop profondément.

Mais certains continuent à essayer de la draguer. Elle a appris à se protéger la jolie princesse. Elle n'est pas épaisse, elle ne sait pas se battre, mais elle a un taser qui marche très bien. Ce n'est pas très commercial, mais elle choisira toujours son intégrité physique.

Une fois ses ventes terminées, elle va traîner dans les ruelles dans lesquelles quelques gamins traînent parfois. Elle en nourrit quelques-uns, quand ils sont vraiment trop faim. Elle passe un peu de temps avec eux, parfois, s'assurant qu'ils vont bien. Ils ont de bons yeux et de bonnes oreilles, ils voient tout et savent beaucoup de choses. Elle espère que dans ce qu'ils verront et entendront, elle pourra un jour trouver les pièces du puzzle qui lui permettront de comprendre pourquoi son frère jumeau est mort.

Ils discutent tranquillement de l'activité des rues quand l'un des gamins lui signale à voix basse qu'une silhouette les observe. Elle fait mine de rien, et finalement se tourne. Le geste est léger, infime, mais suffisant pour que la silhouette fasse un pas vers l'arrière avant de finalement commencer à s'éloigner. Elle se lève.

« Eh toi ! ». Elle le regarde un instant puis finalement s'élance à sa suite, sous les appels des plus grands enfants qui pensent que c'est une mauvaise idée. « Reviens ! ».

Est-ce un orphelin plus âgé qui surveille ce qu'elle fait avec les autres gamins qui traînent dans les rues ? Est-ce un autre dealer qui la soupçonne de vouloir trahir la famille pour laquelle elle travaille ? Est-ce un flic qui l'observe parce qu'il a compris qu'elle dealait ? Ou autre chose ? Elle ne sait pas pourquoi ce type l'observe, mais le fait est qu'il le fait et qu'elle n'aime pas ça. Elle devrait être terrorisée, mais Se Jin veut savoir. Elle veut savoir qui il est et pourquoi il la suit comme ça. Parce que c'est lui, n'est-ce pas ? C'est lui qu'elle a eu l'impression de voir plusieurs fois à sa suite, embusqué pour l'observer de loin ? Elle court derrière lui, mais elle doute de pouvoir maintenir ce rythme longtemps, pas spécialement entraînée ou sportive.

Il n’y a pas que des avantages à être un fantôme, bien au contraire. Quand on continue d’hanter la ville où on a vécu, on croise tôt ou tard le chemin de ceux qu’on a aimé et laissé derrière soi. En réalité, c’est même plus que ça et je dois avouer que je nourris une obsession presque malsaine pour deux d’entre eux. Le premier, Maliwan, celui que j’ai tant aimé et qu’il m’arrive de surveiller de loin. Pas trop souvent non plus car il pourrait me repérer et comprendre. Et puis nous devons tourner la page tout les deux. Il y a des histoires qui sont vouées à mal finir. La nôtre en fait partie. Est-ce que je l’aime toujours ? C’est difficile à dire. Il faudrait que je puisse lui parler, l’approcher pour de vrai mais ça serait m’exposer et je ne peux pas me le permettre. Alors je préfère penser que c’est une sorte d’attachement. De toute façon avec lui, je ne provoque jamais les rencontre et je veille toujours à le fuir lorsque nos chemins se croisent.

En revanche avec Se Jin, c’est différent. Un lien spécial et indestructible nous unis. Avec elle, je ne peux pas juste tourner la page. Alors je continue de la regarder de loin, la surveillant et veillant comme je peux en sachant que je ne dois pas m’approcher trop près. Que ça nous ferait du mal à tous les deux, même si ça me brise le cœur de la voir marcher sur mes traces. Parfois j’aimerais sortir de l’ombre pour la secouer et lui dire que ça suffit. Qu’il faut qu’elle passe à autre chose et surtout qu’elle ne fasse pas comme moi. Qu’elle ne bousille pas son avenir…

Aujourd’hui encore je l’ai espionné pendant qu’elle vendait sa drogue. Ça m’a mis en colère de la voir faire ça. D’ailleurs c’est en la surveillant que je tombe régulièrement si Maliwan. Parce qu’elle deal sa drogue. La vie est ironique parfois…

Casquette vissée sur la tête, lunette de soleil et masque sur le visage, je l’observe de loin et j’imagine qu’en me perdant dans mes pensées, j’ai commis une erreur car elle me repère et je dois fuir. Mettre le plus de distance entre nous. Je dois l’empêcher de s’approcher et de me voir, de me reconnaitre, parce que ça pourrait être dangereux et pas seulement pour moi, mais surtout pour elle.

Je file, elle me court après. Elle n’est pas aussi sportive que moi et j’aurais facilement pu la distancer si la foule n’était pas si compacte. Alors je tente le tout pour le tout en coupant par un parc. La vue est dégagée et alors que je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, je me prends les pieds dans la longe d’un chien.

M’étalant au sol, je jure tout en me traitant de crétin. Comment ai-je pu commettre une telle erreur ? Et la voilà qui s’approche. Je me lève et lui fais signe de s’arrêter :
« Stop ! Ne m’approche pas ! Pourquoi est-ce que tu me suis ? »
Si elle se rapproche, je reculerais. Quant à ma voix, j’espère qu’elle ne la reconnaitra pas. La fumée de l’incendie dans lequel je suis soi-disant mort, a abimé mes cordes vocales. Mon timbre est différent, suffisamment pour glisser le doute dans son esprit. Du moins je l’espère.

Heureusement que la foule est là. Sejin est convaincue qu'elle n'aurait jamais pu le suivre s'il n'avait pas été autant freiné par les gens qui vont et viennent dans les rues. Il n'est pas assez tard pour qu'elles se fassent plus désertes. C'est une bonne chose.

Mais lorsque la foule s'éclaircit enfin et qu'il atteint le parc, Sejin se doute qu'elle va le perdre. Entre l'obscurité, la nature et le fait qu'il doit courir plus vite qu'elle. Sauf que voilà, devant elle, alors qu'il prend déjà de la distance, elle le voit tomber. Ouch. Ça doit être dur. Mais ça lui permet de combler la distance.

Elle ne le discerne pas bien. Il porte une casquette, des lunettes de soleil et un masque, le parfait attirail du stalker qui ne veut pas être reconnu. Sejin a une drôle de sensation. Une sensation de malaise, mais pas celui qu'elle devrait ressentir. Elle s'approche encore. Mais il se lève et lui fait signe de s'arrêter. Sa voix est un peu rauque, comme s'il fumait trop. Pourtant, il n'a pas l'air vieux. Enfin, c'est difficile à dire sachant qu'elle ne voit pas grand-chose de lui.

« Tu plaisantes ? Pourquoi moi je te suis ? Et toi alors, hein ? Qu'est-ce que tu foutais à nous observer de l'autre côté de la rue ? ». Elle n'est pas sûre que c'est lui qui la suit. Elle n'est même pas sûre que quelqu'un la suit. C'est peut-être juste de la paranoïa. Elle n'en sait rien. Sejin n'a jamais été très confiante, alors traîner dans les rues la nuit ne doit pas l'aider. « Je te conseille de laisser les gamins tranquille ».

Sejin n'envisage pas qu'il puisse être là pour la surveiller, elle. Pourquoi ferait-il ça ? S'il était flic, il l'aurait déjà arrêtée, non ? Alors tout ce qu'elle va faire, c'est être plus précautionneuse. Elle va changer ses spots de deal, et s'arranger pour être moins visible. Et avec cet avertissement, elle s'assure qu'il ne s'en prendra pas aux gamins. Et si c'est quelqu'un qui la soupçonne de trahison, alors au moins, qu'il se rassure, elle ne dira jamais rien à personne. Elle est impliquée elle aussi.

Elle essaie de le détailler, de retenir les quelques détails qu'elle peut percevoir. Mais le fait est qu'il est vraiment bien dissimulé. Elle ne perd même pas de temps à lui demander de montrer son visage. L'artiste se doute bien qu'il ne le fera pas. Il est prêt à détaler comme un lapin, tendu par la nervosité. Qui est-il ? Elle n'arrive pas à savoir. Elle devrait avoir peur, pourtant ce n'est pas le cas. Et elle n'arrive pas à savoir pourquoi. Est-ce qu'elle le connaît ? Peut-être. Mais qui est-il ? Un vieil ami ? Elle en doute, elle n'en a pas tant que ça. Alors quoi ? Un protecteur ? S'il lui voulait du mal, il l'aurait déjà fait, non ? La jeune femme plisse les yeux, troublée.

Elle n’a pas tort. C’est moi qui ai commencé et pourtant, tout ce que je peux faire, c’est nier en bloc en déclarant :
« Comment ça je t’observais de la rue ? N’importe quoi ! J’attendais un rendez-vous qui ne s’est jamais pointé. »
Je croise les bras sur mon torse, tout en essayant d’avoir l’air convainquant. Difficile quand la moitié de son visage est masqué mais comment faire autrement ? Elle pourrait immédiatement me reconnaitre et il ne faut pas. Ça la mettrait en danger et moi aussi par la même occasion. D’ailleurs je dois me faire violence pour ne pas fuir immédiatement. Si je faisais ça, j’aurais l’air encore plus louche mais ce n’est pas la seule raison qui me fait rester ici et discuter avec elle alors que dieu sait à quel point c’est risqué. A cet instant, je suis heureux de pouvoir lui parler, même si elle ignore tout de moi, même si nos échanges ne sont pas amicaux. Ça n’a pas d’importance car je lui parle et elle a l’air d’aller bien. D’ailleurs je note que non seulement elle sait se défendre mais qu’elle est également un peu trop tête brulée. Quelle idée de poursuivre un inconnu comme ça ! Qui sait ? Elle aurait pu tomber dans un piège ! Quelle idiote ! Elle devrait faire plus attention mais ce n’est pas comme si je pouvais le lui dire.
« Quel gamin ? Vraiment, je ne comprends rien à ce que tu racontes. »
Voilà quelle me prend pour un pervers et c’est un peu contrariant mais en même temps, je suis soulagé qu’elle n’ait pas plus de doute à mon sujet. C’est mieux comme ça. Nous ne pouvons pas nous le permettre…
« Bon, si tu as fini, je vais m’en aller et ne me suis pas ! »
La nervosité me trahit. L’envie de continuer à lui parler aussi. Malheureusement je ne peux pas. D’ailleurs je suis sur le point de tourner les talons quand je sens ma cheville me lancer. Je n’y avais pas prêté attention jusqu’à présent à cause du stress mais je réalise que j’ai dû me la tordre ou me la fouler dans ma chute. Vraiment mais quel idiot ! D’ailleurs je lâche un petit gémissement de douleur en prenant un peu trop appuie dessus. Avec ça, je ne vais pas pouvoir m’en aller en courant, du moins pas tout de suite.

L'homme qu'elle poursuit tombe. Il s'étale de tout son long. Et cela lui permet de le rattraper. Il est rapide pour se relever et il la tient à distance. C'est étrange cette attitude. Pourquoi vouloir la tenir si loin ? Pourquoi veut-il se cacher hein ? Qui est-il ? Pourquoi a-t-elle cette sensation étrange ? Cette envie de savoir ? Elle ne le devrait pas. Elle n'aurait même pas dû le suivre. C'était idiot et dangereux. Mais elle a oublié toutes ses peurs, toutes ses craintes, toute sa timidité. Poussée par quelque chose qu'elle ne comprend pas. Un instinct ? Sans doute. Oui mais lequel ? Et pourquoi ? Il lui dit qu'il n'observait personne et qu'il attendait un rendez-vous. « Menteur ». Elle lui jette un regard mauvais. « Et tu as besoin d'être à ce point caché pour attendre un simple rendez-vous ? ». A qui croit-il faire croire ça, hein ? La prendrait-il pour une idiote ? Sans doute. Comme beaucoup de monde d'ailleurs. Pourtant, elle est loin de l'être.

Il essaie de se donner contenance. Mais elle ne le croit pas. Elle ne comprend juste pas ce qu'il veut et pourquoi il fait ça. Elle penche la tête. Elle sait aussi qu'elle ne peut pas poser trop de questions. Parce qu'elle ne veut pas se dévoiler trop. Elle pourrait demander s'il est un ami de Maliwan mais elle ne saurait pas expliquer comment elle le connaît sans parler de son frère et s'effondrer comme un château de carte. Il continue à faire celui qui ne comprend pas. Et d'ailleurs il lui dit qu'il s'en va. Et quand il commence à partir, elle tend le bras pour le retenir mais sans avoir le temps de parler, elle entend un gémissement de douleur. « Tu t'es fais mal ? C'est bien fait pour toi ! Tu n'avais qu'à pas t'enfuir comme ça ! ». Elle roule des yeux et s'approche de lui. « Laisse moi t'aider ». Elle ne devrait pas. Mais elle le fait. Parce qu'elle a l'impression que c'est ce qu'il faut faire. Alors elle y va. Sans crainte. Elle tend le bras pour attraper le sien mais ses doigts s'arrêtent avant de toucher le tissu de sa veste. Elle relève un peu les yeux sur lui. Pourquoi lui cache-t-il son visage, hein ?

Elle ne me croit pas. C’était évident mais ce qui me surprend, c’est qu’elle n’a pas peur de le dire et qu’elle ose me tenir tête. J’ai connu ma sœur moins téméraire. Elle m’impressionne même si je ne peux rien laisser paraitre.
« Je ne me cache pas. Je suis malade et timide ! »
Je me défends comme je peux, perdant au passage, mon sang-froid. D’ailleurs je ne vois même pas pourquoi je devrais me justifier auprès d’elle. Chaque fois que je le fais, je lui donne l’occasion de se rapprocher de la vérité et il est hors de question qu’elle me perce à jour. Alors je m’en vais, du moins j’en ai envie et j’essaie mais une douleur à la cheville m’en empêche. Mais quelle plaie ! Quant à ce qu’elle me dit en s’en rendant compte, je dois dire que ça me choque au point de m’en laisser sans voix même si elle finit par me proposer son aide. J’hésite longuement. Ce n’est pas prudent et pourtant, je finis par lui répondre :
« Ok. »
Je referme ma main sur son bras et lorsque nous entrons en contact l’un avec l’autre, je sens un courant électrique parcourir mon corps alors que l’émotion commence à me submerger. Il faut que je me maitrise et que je veille à ne pas me trahir, sinon elle saura.
« Si tu peux m’aider à aller jusqu’à ce banc là-bas. Tu pourras partir ensuite. Je saurais me débrouiller. Et ne me dévisage pas comme ça c’est mal poli. C’est d’ailleurs pour ça que je porte un masque. J’ai une vilaine cicatrice que je n’aime pas montrer. »
C’est un mensonge mais à cet instant, ça me parait l’explication la plus plausible.

Elle continue à trouver des excuses très étranges. C'est bizarre tout de même. Elle ne comprend pas très bien ce qu'il cherche à faire, et pourquoi il se cache comme ça. Elle ne comprend pas non plus pourquoi elle est tellement attirée par lui. Il lui répond qu'il ne se cache pas, qu'il est timide et malade. Il s'énerve de plus belle. C'est très particulier. Pourquoi est-ce qu'il lui semble si familier ? « Moi aussi je suis timide, je mets une capuche et voilà ». Elle soupire un peu. « Pourquoi est-ce que tu me sembles si familier ? On se connaît ? ». C'est étrange. Vraiment. Se Jin le regarde mais c'est si difficile avec tout ce qui le couvre.

Elle lui propose tout de même de l'aider, même s'il est particulièrement suspect et désagréable. Il s'est même énervé. C'est intéressant. Mais ça ne lui apporte pas grand chose au final. Il accepte son aide, et lui propose de l'accompagner jusqu'au banc : « D'accord, je t'accompagne ». Mais elle ajoute : « Et arrête de râler. Tu n'as qu'à pas te cacher à ce point. Je surveillerai les rues pour vérifier que tu ne traînes pas autour des enfants ». Elle se fiche qu'il soit malade, qu'il ait une cicatrice, ou quoi. D'ailleurs elle lui dit : « Du coup t'es malade ou t'as une cicatrice ? Choisis un peu mieux tes excuses ». Elle le regarde et elle l'accompagne tranquillement jusqu'au fameux banc, prenant le temps de soutenir chacun de ses pas avec douceur et une tendresse qu'elle ne s'explique pas.