ENCORE ET ENCOREDans les épisodes précédents, une bande m’a interpellé pour "s’amuser un peu" avec le prostitué du coin. Semblant prendre du plaisir à écraser quelqu’un qui n’a rien demandé, les mecs m’ont roué de coups même quand j’étais au sol. Par chance, un type avec trois grammes d’alcool dans le sang s’en est mêlé  pour cesser la violence gratuite qu’ils m’infligeaient. La suite de l’histoire m’amena à le suivre chez une dame qui habitait dans les environs.

Avant de pénétrer dans le logement, je me déchausse qu’en utilisant la pointe de mes pieds et je pousse mes chaussures sur le côté, les rangeant approximativement. Suite à ses directives, je m’enfonce dans le lieu pour rejoindre la cuisine. Au fur et à mesure que je m’enfonce un peu plus entre ces murs, mon regard analyse les environs. Clairement, il ne sort pas tout droit d’un magazine d’ameublements, mais il est mille fois mieux que le mien.

Dans la cuisine qui fait aussi office de salon, ma curiosité s’éveille sur des photos. Je remarque que le type n’est pas dessus. “C’est l’appartement de ta copine ?” Étrange de poser cette question tout en ayant vu qu’il n’est sur aucune des photos. Peut-être qu’ils sont en couple depuis peu de temps et ça expliquerait son absence.

ENCORE ET ENCOREJ’éclate de rire à sa question alors que je lui fais signe de s’assoir. Titubant un peu, j’essaie de me repérer et surtout de me souvenir où est la trousse de secours de la plus belle de toute, alias celle qui nous offre l’hospitalité en son absence.
« Non c’es pas ma copine. Une femme comme elle mérite bien mieux que moi, crois-moi. »
Il n’y a aucune ironie dans le son de ma voix. Je le pense sincèrement. Elle se prostitue, ok. Mais ça ne l’empêche pas d’être une chic fille qui mérite de se trouver un gentil mari un jour. Moi ? Je suis plus proche d’un déchet que d’un bon parti. Qui sait ? Demain on me retrouvera peut-être mort dans une ruelle avec une balle dans la tête. Clairement je n’ai pas d’avenir. Je n’en avais déjà pas beaucoup quand je vivais en Corée alors je peux remercier dieu pour chaque jour qu’il me laisse vivre. A moins que ça ne soit le contraire ?

Je mets la main sur la trousse de secours puis tire une chaise près du gamin et pour moi c’en est un.
« Je suis bourré mais encore capable de soigner quelqu’un. Ramène ta face ici. »
Je lui fais signe d’approcher un peu plus avant de refermer ma main sur son visage pour l’examiner. Ces connards ne l’ont pas loupé.
« En fait, c’est un peu la même histoire que pour toi. Elle se faisait emmerder et je suis intervenu. Depuis, on se rend des services. On veille mutuellement l’un sur l’autre. »
Ce qui est un peu vrai pour pas mal de monde quand j’y pense. Est-ce que je deviendrais un bon saintmaritain ? Il ne manquerait plus que ça. L’idée me fait quand même doucement sourire. Après avoir tué tellement de gens, me voilà à sauver des vies dans les bas-fonds de Bangkok. La vie n’est-elle pas ironique ?

J’imbibe de désinfectant du morceau de coton avant de l’appliquer sur les plaies de Metawin.
« Si des gars recommencent à t’emmerder, appelle-moi. Je leur règlerais leur compte. »
Voilà que je commence à me prendre pour un héros. C’est assez drôle non ?

ENCORE ET ENCOREMerde, je me suis trompé, ce n’est pas sa meuf. Bon, y’a pas mort d’homme dans ma réflexion. Tel un garçon, mon corps s’assoit lourdement sur la chaise et se laisse manipuler par l’homme saoul.. Mes mirettes éclatées se plongent dans ses beaux yeux marron. Sans trop en dire, il m’informe plus ou moins de sa position, sûrement plus proches du vices que de la pureté à en croire ses mots. De cette manière, nous sommes sur le même côté de la balance.
Sans broncher et sans être apeuré, je le laisse manipuler mon visage. Dans tous les cas, il sera plus doux que les mecs de toute à l’heure. “Elle a eu d' la chance.” Comme moi ce soir, j’ai été chanceux que cet homme croise mon chemin et qu’il ait eu à cœur de s’interposer. Sinon, les multiples coups m’auraient fait perdre connaissance. Je me serais réveillé le lendemain matin par un vieillard apeuré d’avoir trouvé un corps sans vie. Et péniblement, j’aurais traîné mon corps jusqu’à mon taudis pour me rincer, me soigner brièvement et m’affaler sur mon matelas. Ce genre de boucle arrive plus souvent qu’on ne le pense, surtout dans un monde comme la prostitution. Payé faiblement, sans nom gravé, aucune étincelle ne vient rayonner mon rôle dans cette industrie infernale. J’fais partie des nombreux pions dont le nom disparaîtra dans les abîmes salis de fluides corporels.

L’œil droit légèrement courbé, je ne réagis pas davantage face à la douleur de l’alcool contre mes plaies saignantes. L’habitude de la douleur ne me fait plus réagir, le corps devenu presque indolore. Seul le cœur, parfois, ressent le choc de la tristesse et le mal dans lequel je me noie. “Faudrait que tu sois tous les jours avec moi.” Dis-je avec un léger sourire, sarcastique. Une gravité sous-estimée pour cause d’obligation de la subir. “T’es d’où ?” Clairement, il ne ressemble pas du tout à un Thaïlandais et surtout, je l’entends à sa prononciation.

ENCORE ET ENCOREJe ne réponds pas et me contente d’acquiescer d’un mouvement de la tête. Je ne peux pas lui promettre d’être là à chaque fois qu’il en aura besoin mais s’il me le demande, je ferais de mon mieux, même si soyons honnête, je ne peux pas rester collé à lui H24 et il ne vaut mieux pas vu l’aimant à problème que je suis. Je serais bien capable de lui attirer des ennuies pires que ceux qu’il rencontre au quotidien. Après tout, même si nous partageons un quotidien misérable, nous ne vivons pas dans le même monde. Le mien est beaucoup plus dangereux et quoi que je fasse, je ne parviendrais jamais à complètement m’en défaire. Je ne peux que le fuir jusqu’à ce qu’il finisse par me rattraper, comme un cercle vicieux dans lequel je suis enfermé depuis le jour où j’ai vendu mon âme à la mafia coréenne.

Après avoir gardé le silence un court instant, je réponds à sa question.
« De Séoul, Corée du Sud. »
Un léger sourire se dessine sur mes lèvres en repensant à mon pays. Je n’ai pas que de mauvais souvenirs, j’ai aussi connu de bons moments même si j’ai tendance à les oublier.
« Quant aux raisons qui m’ont amené ici, c’est une très longue histoire. »
Qu’on ne raconte pas aux enfants, surtout après une soirée aussi rude.
« Si tu veux, je t’apprendrais quelques mouvements pour mettre au tapis un gars plus fort ou plus grand que toi. Pas pour que tu leur mettes une raclée mais plutôt pour que tu puisses t’enfuir plus facilement. »
Mais avant ça, on doit dormir un peu. Je termine de le soigné puis je lui dis :
« On va passer dans la salle de bain pour se laver. Notre logeuse doit avoir de vieux vêtement de son ex qui trainent quelque part. On dormira mieux propre. »
Je lui montre du doigt la salle de bain. L’appartement n’est pas bien grand, il aurait trouvé de toute façon.

ENCORE ET ENCORESon sourire quand il semble plonger dans de vieux souvenirs, je le vois. J’aurais pu me douter qu’il était coréen ou éventuellement, américain. Les traits de son visage me donnaient cette impression et je ne m’étais pas loupé. Séoul, la grande ville, la technologie, la beauté, le chic et le classique. Très éloigné de Bangkok sur tous ces points. La taille de la ville n’est pas la même non plus. Je pourrais comprendre s’il me balance qu’il n’arrive pas à s’intégrer, ou tout le contraire, si ça lui plaît davantage d’être ici. Mon regard qui se promène tout le long de son visage, les sourcils froncés, je tente de décrypter ce qu’il peut se cacher derrière cette très longue histoire dont il me parle sans m’en parler. Toutefois, je respecte son intimité et n’en demande pas plus. “J’suis content que tu sois là.” Dis-je avant de faire une grimace à cause d’un picotement au niveau de la lèvre inférieure. “Je n’serais pas dans cet état si tu n’avais pas été là ce soir. J’serais peut-être crevé dans ce coin qui pue la pisse.” Peut-être qu’avec la douleur, j’aurais fait une crise cardiaque. On n’en sait rien et de toute manière, ça ne sert à rien de se faire d’autres scénarios. Maintenant, j’suis sauf malgré quelques fragilités au niveau des os.

Il me propose d’être mon sensei en m’apprenant quelques mouvements de défense. Excité et intéressé par l’idée, je me mets à faire des mouvements de ninja avec les bras. “Tu vas m’apprendre à être aussi badass que toi ?” En maintenant une gestuelle de ninja, je le regarde amusé et enjoué par sa proposition. Après avoir fait l’imbécile quelques secondes, le sourire timidement perché sur les lèvres abîmées, je range mes bras en arrière.
Son doigt pointe la salle de bain, il m’annonce qu’on doit passer dans cette pièce avant d’aller se coucher. Surpris, je ne m’attendais pas à passer la nuit ici. Je pensais rentrer à pied chez moi, comme je le fais d’habitude. “J’veux pas déranger plus. J’vais retourner chez moi.” Et alors que je me redresse pour déboîter le pas, une douleur vient me piquer les cotes. Appuyant l’une de mes mains sur la douleur, je m’incline rapidement en avant, face à la douleur en poussant un grognement de souffrance. “Putain.” Je me crois souvent trop capable de pouvoir supporter le mal, pouvoir tout endosser sur les épaules ou plutôt sur tout le corps, mais la réalité finit parfois par me rattraper.

ENCORE ET ENCOREUn sourire bienveillant se dessine sur mes lèvres devant son enthousiasme à l’idée d’apprendre quelques bonnes prises. C’est dans ce genre de moment que Metawin fait son âge. C’est un gamin et on l’oublie un peu trop souvent. Lui aussi je crois. Ce pays fait beaucoup de mal aux gosses dans son genre. Ceux qui vivent dans la misère et j’aimerais être capable de faire plus pour lui. Malheureusement je suis incapable de m’aider moi-même alors prendre soin d’un autre, est impensable. Je peux juste être là de temps en temps comme ce soir et lui apporter un peu de mon savoir-faire. Autant que mes années dans la mafia servent à quelque chose.

Il ne veut pas déranger ? Vraiment ? Et il croit être en état pour rentrer chez lui ? Je n’ai pas besoin de lui en faire la remarque. Il le comprend de lui-même lorsqu’il essaie de se lever. La douleur le clou sur place, pire elle l’oblige à se plier en deux. Il me fait de la peine ce petit et après avoir lâcher un court soupire, je me lève à mon tour. Peut-être un peu trop brusquement car la pièce tangue un peu mais ça c’est à cause de l’alcool. De toute façon ça ne dure pas plus de trois secondes. Une fois ma vue stabilisée, je m’avance vers Metawin et passe un bras autour de lui.
« Je vais t’aider à aller jusqu’à la salle de bain. »
Parce qu’on ira nulle part ailleurs. Quant à savoir s’il aura besoin d’aide pour se déshabiller et se laver, ça c’est une autre question qu’on verra le moment venu. On va déjà y aller et ça sera déjà pas mal.
« T’es prêt ? On y va doucement. »
Avec un peu de chance, il y aura de l’eau chaude et ça lui fera du bien. Sinon tant pis, on fera avec.

ENCORE ET ENCOREParfois, j’ai tendance à me croire trop capable de m’assumer tout seul. J’ai trop de fois imaginé crever la gueule ouverte dans une rue délabrée de Bangkok, dessapé et rué de coups. Je ne m’attendais pas à vivre vieux avec la vie que je mène actuellement. Même si je me fais moins taper dessus par mon nouveau patron, cela n’empêche pas que je sois affilié avec la mafia. Rien ne présage un avenir ensoleillé sur ce chemin afflué par autant d’illégalité. Toutefois, malgré l’épée de Damoclès pendue au-dessus de ma tête juvénile, je ne suis pas tordu de peur. Tête haute, parfois ecchymosée, je poursuis ma route le dos redressé, le danger conscient, mais la peur au loin.

Liam passe son bras autour de moi pour m’aider à me redresser après la méchante douleur qui a électrifié l’entièreté de mon corps abîmé. Ne pouvant pas faire le malin davantage, je laisse mon corps se traîner avec l’aide de l’homme baraqué. Grâce à lui, nous arrivons à la salle de bain en mordant ma lèvre inférieure pour éviter de me plaindre de la douleur.

Dans la petite salle de bain, je tente d’enlever mon haut, mais juste le fait de lever les bras me fait un mal de chien. Je dois avoir quelques côtes cassées, c’est pas possible… J’ai envie de casser quelque chose tellement que ça me saoule et que ça commence à m’énerver d’être handicapé comme ça. Mais je vais m’abstenir, car j’suis pas chez moi et que ça la fout mal de péter un truc tout en sachant que j’suis invité très gentiment malgré le fait que la personne ne me connaît pas. Et puis, y’a Liam qui m’aide alors qu’il pourrait foutre autre chose de sa vie.
Le problème, c’est que je mords tellement ma lèvre inférieure que je finis par la faire saigner à nouveau. J’suis trop préoccupé à l’idée d’être redevable qu’au sang qui coule actuellement.

ENCORE ET ENCOREJe l’aide à rejoindre la salle de bain. Je sais qu’il préférait se débrouiller seul mais parfois, il faut savoir prendre la main qu’on nous tend. Il n’y a aucune honte à se faire aider, surtout après avoir passé un mauvais moment. Cela dit je m’abstiens de lui faire la morale. Je ne suis pas là pour ça et je ne suis pas certain qu’il ait envie de ça.

Une fois dans la salle de bain, je le laisse d’abord se débrouiller avant d’avoir confirmation de ce que je savais déjà. Il est incapable de se déshabiller seul. C’est comme ça. Il va devoir faire avec.
« Fais attention, tu saignes à nouveau. »
Je prends le bas de son t-shirt et le relève doucement, l’aidant à passer un bras après l’autre avant de l’en débarrasser complètement. Je le fais sans pudeur, ni gêne. Sans aucune arrière-pensée, comme je l’aurais fait pour un petit frère. Je n’en ai jamais eu et je ne sais pas si ça m’aurait plus d’en avoir un. Est-ce que ça aurait changé quelque chose à ma vie ? Je n’en sais rien.

Avec son t-shirt, j’essuie le sang qui s’écoule de sa lèvre avant de lui dire :
« Ne la mords plus. »
Ça ressemble plus à un ordre qu’autre chose mais à cet instant, je ne réfléchis pas vraiment. En fait, j’ai l’impression de revenir quelques années en arrière, lorsque j’avais sous mon aile de jeunes mafieux téméraires, qui se croyaient invulnérables et qui se blessaient un peu trop souvent.
« Je vais t’aider avec le reste. »
Et sans attendre sa réponse, je commence à défaire son pantalon, ne laissant rien transparaitre sur mon visage car à cet instant aucune émotion ne traverse réellement mon esprit. Je me contente de faire ce que j’ai à faire sans vraiment réfléchir.