CATCH ME IF YOU CANRien dans l’estomac depuis hier soir, mon ventre crie famine. Sauf que dans mon porte-monnaie, se battent en duel deux pièces qui vont me permettre juste de boire un soda et rien de plus. Pourtant, j’avais plusieurs liasses de billets vingt minutes plus tôt, mais y’a eu la collecte. Une bonne somme d’argent s’est envolée d’une poignée de main pour rembourser une putain de dette qui me colle à la peau depuis plusieurs années. Épuisé d’être fauché à cause d’elle, j’en serais presque à rêver d’en être débarrassé. Toutefois, les rêves sont une douceur qui ne m'arrive plus depuis fort longtemps. Désillusionné, il m’est plus facile d’accepter ma condition de pauvre et de bas étage. Ne pas trop réfléchir à sa condition peut parfois éviter de s'étouffer. C’est ainsi que je parviens encore à respirer.

Les doigts qui tirent sur les longues manches de mon pull, je parcours les rangées du marché nocturne toujours autant animé le vendredi soir. Les touristes affluent et il serait très simple pour un voleur de glisser sa main pour faire disparaître des objets de valeur. Chance pour eux, je ne vole pas d’argent. Par contre, la faim alarmante presque à m’en donner une migraine me fait fréquemment prendre volontairement de la nourriture “gratuitement”.

Alors, tel un serpe, je me faufile vers un stand de nourriture dans l’intention de piquer une brochette de viande. Mais l’instinct sonne à la porte lorsque j’entrevois une silhouette familière dont je dois me méfier. Une chevelure rouge, des gants en cuir et cet air fouineur, c’est ce fameux policier. Personnellement, je ne le connais pas, mais il me traque depuis quelque temps. Considéré comme un voleur, il cherche à me coincer. Heureusement pour moi, il ne connaît pas mon visage. Je dois être vigilant dans mes actions et ne pas attirer l’attention, du moins, pas d’une mauvaise manière. Naturellement, je m’approche de l’étranger familier. Comme lui, je m’arrête au stand de droguerie et je fais semblant de m’intéresser à un produit cosmétique pour homme. Je repose le produit tout en écoutant d’une oreille le baratin du commerçant et ma main se précipite pour ricocher avec celle du policier en voulant prendre un autre objet. Faisant exprès de créer un accident, je veux juste m’amuser un peu pour oublier la douleur de mon estomac.

CATCH ME IF YOU CANLe marché était un endroit idéal pour les pic-pocket, surtout le soir car la nuit les protégeaient. L'endroit était éclairé mais il suffisait d'une légère obscurité pour ne pas être vu. Quand bien même j'avais rangé mon uniforme de policier pour la journée, je restais toujours à l'affut du moindre voleur qui ferait son apparition. Cela dépendant bien évidemment. Honnêtement, je n'allai pas courir après quelqu'un simplement parce qu'il avait volé une pomme. Une façon de penser qui ne plaisait pas forcément à mes collègues et à mes supérieurs mais ils n'avaient pas le choix. Bangkok baignait dans la délinquance et ils avaient besoins de bras pour faire baisser le taux. C'était bien pour cette raison que je ne m'étais pas fait virer dès ma première insubordination. C'était ce qu'on m'avait fait comprendre mais cela ne m'avait pas empêché de recommencer. Du coup je me faisais punir à la place, obligé de rester au poste de police pour faire l'administratif, les dépôts de plaintes...Tout ce qui était ennuyeux à mes yeux. J'étais un homme de terrain alors rester assis toute la journée, c'était clairement une punition.

Je m'approchai d'un stand qui vendait des choses diverses et variés. Je n'étais pas là simplement pour jouer les policiers mais aussi pour trouver un cadeau. C'était bientôt l'anniversaire de l'un de mes collègues et ça ferait un peu tâche d'être le seul à ne rien lui offrir. Alors que j'approchais ma main gantée vers un objet pour le regarder, je la cognais contre celle de quelqu'un d'autre.

- Ah...désolé...

Je me tournais vers l'inconnu. Un sentiment familier m'avait envahi en le regardant, mais c'était étrange car son visage ne me disait rien. Peut-être était-il déjà venu au commissariat ou croisé simplement quelque part.  Je voyais tellement de monde avec mon métier que je finissais par ne plus retenir les visages au bout d’un moment. Du moins pas ceux qui n’était pas important.

- On ne s’est pas déjà croisé ?

Avais-je tout de même demandé au cas où ce jeune homme serait important. Mon intuition en tous les cas me soufflait que oui.  Est-ce que j’avais couché avec lui ? Ca semblait peu probable, il avait l’air d’être à peine sorti de l’adolescence et je n’étais pas attiré par les petits jeunes.

CATCH ME IF YOU CANNos mains s’entrechoquent, son regard croise le mien et soudain, sa mémoire semble perturbée. Une vicieuse satisfaction s’empare de mon cœur, invisible sur mon visage impassible. Alors, lentement, je me redresse tout en même temps que la main touchée vient s’enfoncer au fond d’une poche pour le confort. Ne prenant guère la peine de retourner l’excuse, je me contente de lui répondre à sa phrase d’après. “J’dois avoir un visage commun.” Soudain, l'attention déviée, je prends en main un autre objet bien mystérieux dont sa fonctionnalité m’est inconnue. Avec une poigne fluide et légère, je le fais rebondir dans ma main en le rattrapant à chaque coup. “On me pose souvent cette question.” Avec précaution, je repose l’objet pas tout à fait à sa place. Le commerçant nous regarde de loin, près à nous sauter à la gorge à tout moment pour nous vendre une de ces babioles. “Mais peut-être qu’on se connaît." Je hoche de manière lente mon visage faisant traîner le suspens. De nouveau, les mains dans les poches, je me retourne face à lui tout en le dévisageant de haut en bas. Et après quelques secondes de silence, je poursuis mon interaction. “Payez-moi une brochette de viande et je vous le dirais.” Les sourcils bougent imperceptiblement à la fin de ma phrase, pour accentuer la rhétorique.

CATCH ME IF YOU CANL'impression de connaître quelqu'un était une sensation étrange. On n'avait le nom de la personne sur le bout de la langue ou l'endroit où on avait aperçu cette dernière mais impossible de s'en souvenir. Après, il était fort possible que je me trompe et que ce jeune homme n'avait jamais croisé ma route. Il n'y avait de toute façon qu'une seule façon de le savoir, celle de lui poser directement la question. J'étais un peu perplexe face à ces réponses. Ce n’était pas compliqué de me dire oui ou non. Il jouait à quoi celui-là ? J'étais encore tombé sur un cas, c'était bien ma veine. Je ne voyais pas trop où il en voulait en venir avec son chantage mais je devais avouer que c'était bien tenté. Au moins ça avait eu le mérite de me faire sourire.

- Faire du chantage pour avoir à manger, où va le monde. Quel âge vous avez ?

Déclarais-je avec un soupir. Je n'allai pas non plus nourrir tous les pauvres du quartier sinon j'allai l'être aussi à mon tour. J'étais policier pas ministre. Mais ce jeune homme me faisait de la peine et son petit jeu avait été assez drôle. Puis bon, c'était mieux que de le laisser voler quelque chose pour se nourrir et finir 24heures en garde en vue jusqu'à ce que quelqu'un vienne lui payer sa caution.

- Je vais vous la payer votre brochette.

Je me dirigeai donc vers le stand adéquat et commandait deux brochettes de viandes. Une pour le jeune homme et une pour moi tant qu’à faire. Je préférais le sucré de mon côté mais tant pis. J’avais toujours des sucettes sur moi si jamais j’avais envie de sucre.

- Voilà. Mais rappelez-vous que tout le monde n'est pas aussi sympa que moi.

Déclarais-je en lui tendant son pique en bois. Il aurait pu tomber sur un homme moins compréhensif et qui lui aurait fait regretter son petit manège. Surtout avec tous ces gangs qui s’étaient installé à Bangkok. En tant que policier j’essayais de les démanteler, surtout ceux qui baignaient dans les interdits comme la vente de drogue, d’armes ou même de trafic de prostitutions.

CATCH ME IF YOU CANLe policier semble sur ses gardes face à mon approche peu amicale. De haut en bas, de l’intérieur à l’extérieur, il avait tout le portrait d’un homme de l’ordre. Sa manière de m’aborder en témoigne, il dénonce du chantage pour aussitôt réclamer mon âge.

Face à sa demande, mes yeux se plissent et un air suspicieux masque mon visage creusé. “C’est le monde réel. Vous devez venir des hauteurs.” Je lève mes prunelles sombres vers le ciel, visant un gratte-ciel. Les hauteurs définissent la catégorie des personnes aisées, celles qui peuvent se permettre d’avoir de l’air moins pollué et de toucher les étoiles. “J’ai l’âge que vous me donnez.” Cette information précieuse et secrète que je ne relève que rarement me permet d’exercer mon second travail et de pénétrer dans des lieux qui me sont techniquement interdits. N’étant pas encore majeur en Thaïlande, je me retrouve restreint dans l’accès à certains services. Sauf qu’étant prostitué, je n’ai pas vraiment le choix que de fréquenter certains lieux pour le business. Alors, l’illégalité est poussée jusqu’au bout, tel un cercle vicieux qui ne cesse de s’agrandir au fil du temps.

Enfin, il se décide à me payer la brochette que je lui avais réclamée. Bien heureux qu’il ait fait ce choix, je me contente de fermer ma bouche et de le suivre vers le stand. La nourriture devant nous, je m’en lèche les babines. L’odeur de fumée fait rêver mon estomac affamé. Sans plus attendre, je prends une brochette qu’il me tend. Et rapidement, je la termine en quelques crocs. Jeune et maigre, je dévore la nourriture. Malgré la vitesse, je profite tout de même de ce que je mange. “J’ai rencontré plus sympa.” Je hausse les épaules, mets le bâtonnet dans un pot sur le stand et je me retourne. Tel un lâcheur, je commence à partir et lui faisant un signe de main, dos à lui. Il me fallait juste quelqu’un pour me payer un truc à manger, rien de plus.

CATCH ME IF YOU CANUn sourire avait étiré mes lèvres, que je mordais un peu pour ne pas éclater de rire. Bien sûr que je savais dans quel monde on vivait, je consacrais même toute mes journées à le rendre meilleur. Malheureusement, tout le monde n'était pas très coopératif là-dessus. En tous les cas, je ne venais pas des "hauteurs" comme l'avait dit le jeune homme. J'étais un homme normal, qui avait été élevé par son père lui aussi policier. Je n'étais pas un enfant pourri gâté, ça non. Je m'en étais pris des claques quand je faisais une bêtise. Il était évident que vu sa remarque, mon interlocuteur n'était pas un privilégié et peut-être même faisait-il partie de la pauvreté qui faisait partie de Bangkok. C'était un peu triste car il semblait si jeune mais cela expliquait son chantage. Heureusement, il n'avait rien volé sur l'étalage devant moi. Je me serai retrouvé bien embêté de devoir menotter une personne qui ne désirait que se nourrir. En même temps, ces babioles ne valait rien alors ça n'aurai pas été une grande perte pour le marchand. Ce dernier état prêt à nous sauter dessus pour vendre. Je détestais la vente forcée.

- Pas vraiment. Mon appartement fait 60 m2 environ.

Déclarais-je. Il n'était pas non plus situé dans une immense tour avec un infini nombre d'étage. La galère si jamais l'ascenseur tombait en panne. Non il y avait cinq-six étages, pas plus. Et pas d'ascenseur. Le bâtiment n'était pas assez récent et cela coûterait trop cher pour l'agence d'en rajouter un.

- Hum...disons que tu as huit ans alors

Rétorquais-je avec un air taquin. S'il ne voulait pas me dire son âge, très bien et me laissez décider très bien. Il était temps d'aller nourrir ce gamin. Suivi par ce dernier, j'allai acheter sa brochette. Cette dernière se retrouva rapidement engloutie par le jeune homme mystérieux. C'était qu'il avait une sacrée faim.

- Tout le monde n'achète pas à manger à un inconnu

Je ne doutais pas qu'il y avait plus sympathique que moi mais ce gosse n'avait visiblement pas appris à respecter ses aînés. Un simple merci aurait aussi été pas de trop. Je le regardais s'éloigner. J'avais la sensation de connaître ce dos, mais impossible de mettre le doigt dessus. Mon intuition me disait de ne pas le laisser filer. J'ignorais encore pourquoi mais j'avais toujours fait confiance à cette dernière. Aussi, je rattrapai rapidement le jeune homme et posai ma main sur son épaule pour le forcer à se retourner.

- Et donc, ta part du marché ?

Déclarais-je, ma main n'ayant pas quitté son épaule au cas où il tenterait de fuir.

CATCH ME IF YOU CANIl ne se rend peut-être pas compte de la différence qui nous sépare. Je ne parle pas simplement des mètres carrés de son logement et sûrement de sa salubrité largement plus correcte que la mienne. Son métier, sûrement sa réputation, son avenir, et bien d’autres choses qui nous rendent si différents. Alors, je ne réplique pas à la taille de son appartement, ni à sa provocation de l’âge déraisonnable qu’il me donne.

Avant de le quitter, je hausse les épaules à sa remarque de payer de la nourriture aux inconnus. Il n’a pas tort sur le coup, tout le monde n’aurait pas fait ce geste bienveillant. Je le taquinais, car je savais déjà qu’il allait m’offrir une brochette de viande. Ce type n’a pas l’air méchant. Je l’évite juste la plupart du temps pour mon propre bien. Ayant déjà à peine de quoi m’acheter un bâtonnet de viande, je n’ai forcément pas de fric pour payer la prison.

C’est le ventre accommodé par d’un peu de nourriture, que je m’en vais nonchalant. Toutefois, peut-être trop confiant d’avoir terminé ce chapitre, je me fais rattraper par la tête rouge. Retourné de force par le jeune flic, je le dévisage de haut en bas, pensant qu’il m’avait reconnu. Soulagé, sans le montrer, il me demande ma part de marché. “Quelle part ?” Oui, j’ai déjà oublié ce que j’ai dit plus tôt. Tout ce qui m’avait intéressé, c’était d’avoir de la nourriture, alors j’avais sorti une connerie pour que cela se réalise. Cette fois-ci, c’est moi qui lui pose une question. “Vous avez eu un crush sur moi ?”

CATCH ME IF YOU CANJe croisais vraiment de drôle de personnage dans cette ville. Que cela soit par mon travail ou tout simplement quand je n'étais qu'un simple civil. Au moins je ne pouvais pas dire que je m'ennuyais avec tout ce qui se passait. Même une simple sortie au marché pouvait avoir son lot de surprise. Je ne connaissais pas ce jeune homme qui avait décidé de me mettre la main au porte-monnaie. Lui offrir une brochette ne me dérangeait pas - ce n'était pas ce qui allait me ruiner - mais mon instinct me soufflait que quelque chose n'allait pas avec ce gosse. S’il en était un bien évidemment vu qu'il avait refusé de me donner son âge. Honnêtement, je lui donnerai la vingtaine voir un peu moins. Un étudiant peut-être qui visiblement ne gagnait pas assez bien sa vie pour se payer à manger et considérait les autres comme des personnes de "là-haut". Il était loin de se douter que ceux qui contrôlaient cette ville n'était en fait pas l'actuel président mais plutôt les trois grands gangs que je tentais d'éliminer. Je ne pensais pas le jeune homme naïf mais peut-être un peu trop fermé d'esprit et en plus pas très respectueux envers les personnes qui lui tendait la main. Même pas un remerciement pour lui avoir offert à manger. Il semblait s'en moquer éperdument. En revanche, je n'avais pas oublié notre marché et je ne comptais pas le laisser filer aussi facilement.

- A manger et en échange tu devais me dire honnêtement si on s'est déjà croisé

Sa question sur le fait que j'avais eu un crush sur sa personne m'avait fait lever un sourcil, et je m'étais mordu discrètement les lèvres pour ne pas rire. Il se croyait si attirant que ça ? Je n'avais rien contre les mecs mais je n'étais pas intéressé par ceux de son âge.

- Désolé de te décevoir mais tu n'es pas du tout mon style

Rétorquais-je tout de même. Je ne voulais pas non plus qu'il s'imagine des choses car après c'était moi qui aurait des emmerdes.